Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Temps de David
6 janvier 2017

Dylan cannonisé

Un ‘schnorrer’, un ‘wanderer’ comme on dit en yiddish et en alle-mand, un squatteur, un parasite, un resquilleur, un vagabond, un trompe-la-mort, un clochard céleste, un clown lyrique, un cœur en exil, un déserteur, un pèlerin, un cygne qui, contrairement à celui de Mallarmé, aurait réussi à chanter la région où vivre quand du stérile hiver a resplendi l’ennui. Un petit gars du Minnesota qui a la mémoire longue des pogroms subis par ses ancêtres et une voix de colle et de sable, comme disait d’elle David Bowie. Il a lu Villon, Dante, Pound, Ferlinghetti, Corso, Kerouac, Longfel-low, Byron, Browning, Shakespeare, Blake, Yeats, Rimbaud, Bal-zac, Baudelaire, Burroughs, Verne, Poe, Kipling, Ovide, Ezéchiel, Isaïe, Daniel, Fitzgerald, Whitman, le Lévitique et le Deutéronome. Rien n’est trop grand pour un petit gars du Minnesota. Pas un de ses vers n’arrive à la cheville de ses amis poètes mais il s’en fout, il sait qu’il les emporte tous parce qu’il met sa guitare, son harmonica et sa voix de chèvre dedans. Les textes des autres, il en extrait la drogue la plus pure, les habite, les transfigure, il y met son grain, toute son âme et son corps, et balance la musique qui dépose son petit poison délicieux dans des millions d’autres âmes. Sortilège de l’homme au tambourin. Le Nobel de littérature le récompense pour avoir inventé “de nou-veaux modes d’expression poétique”, mais c’est surtout une nou-velle forme de vie possible que Dylan a inventée. Comme tous les artistes. “There must be some kind of way out of here” (‘All along the watchtower’ 1967). Il y a bien un chemin pour sortir d’ici. Et en écho Kafka répond à Bob “il y a un but mais pas de chemin, ce que nous appelons chemin n’est que détour où l’on s’attarde”. Alors il s’attarde, tourne en rond, cherchant toujours la lumière de l’autre côté des murs. Dehors il y a une bataille qui a commencé avec la création du monde, elle fait encore rage et ne finira qu’avec sa destruction, la lune est voilée, le déluge est toujours sur le point de nous tomber dessus, les ténèbres montent en plein midi, les eaux aussi, l’ordre du monde actuel disparaît, Cendrillon passe le balai dans la rue de la Désolation, Einstein déguisé en Robin des Bois mendie des cigarettes, s’il n’y a qu’un endroit où Abraham peut sacrifier son fils c’est sur la route de la liberté, la Highway 61, même le Christ et le Messie ne sont sans doute que des saltimbanques qui ont du mal à croire à leur rôle. La justice est rare, la vérité en exil, la mort travaille sans répit sous de multiples atours, l’amour console mais ne sauve pas, il n’ y a personne, vraiment personne à attendre. Et pourtant, chacun peut à tout instant être libéré, décider de ne pas être un pion dans le jeu des autres, taper aux portes du paradis sans jamais être certain d’y accéder. Voilà qui suffit à faire une vision du monde, rajoutez une voix, un rythme, des mélodies et vous avez un style. Est-ce la vision qui fait le style ou le style qui fait la vision ? Est-ce le texte qui fait la musique ou la musique le texte ? Peu importe, pourvu qu’il y ait une écriture qui fracture le monde pour tenter le refaire. C’est tout et c’est déjà énorme. “The line it is drawn, the curse it is cast” (1964 ‘The Times they are a changin’). La ligne, elle est tracée, le sort, il est jeté, traduirait Francois Hollande, spécialiste de la dislocation anaphorique, cette figure de style emphatique où le pronom répète le sujet de la phrase. “Admit that water around you have grown and accept it that soon you’ll be drenched to the bone.” Bob a prévenu il y a près de 50 ans. Et depuis ? Les eaux continuent à monter, les maîtres de la guerre à massacrer, les dealers à dealer, les leaders à être écoutés, crus, suivis. “Est-ce le texte qui fait la musique ou la musique le texte ? Peu importe, pourvu qu’il y ait une écriture qui fracture le monde pour tenter le refaire” Le Nobel ne donnera pas au vieux Bob plus de pouvoir au contre-pouvoir qu’il a toujours incarné. Les sénateurs, les députés, les écrivains, les intellectuels, les pères, les mères et tous les braves gens, tous ces spectateurs qui gardent les yeux grands fermés, tous les héros anonymes et passifs de sa chanson de 1964 qui voient le vieux monde s’écrouler sous leurs yeux continueront à fredonner ses chansons, en se demandant lesquelles restent leurs préférées, quel est son meilleur album, si ce Nobel était vraiment mérité, quand le déluge arrivera, ce qu’ils feront après…. et mille autres questions dérisoires et dilatoires, pour ne pas avoir à saisir le sens de ce que le jeune Bob marmonnait dans sa voix de colle et de sable. Tout est clair pourtant. Rien de fou mais tout est écrit, de l’interprétation du sourire de Mona Lisa à la folie qui mène le monde à sa ruine.

Publicité
Publicité
Commentaires
Le Temps de David
  • Le Temps de David, c'est mon temps. Celui de mes coups de coeur, de mes voyages et des trucs qui m'énervent au plus au point. J'ai décidé de prendre la plume numérique pour évacuer mon stress. Désolé si vous êtes de l'autre côté de l'écran...
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité